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  • Photo du rédacteurPierre Gouyou Beauchamps

La Desertus Bikus 2022, la course malgré moi (suite et fin)

“La journée qui n’en finit pas”


Lever à 4h30 heures du matin, pour un départ à 5h20. Ça tire un peu de partout. Dans la nuit encore totalement noire, je croise quelques cyclistes assoupis sur les bancs d’un petit village. Le jour se lève sur une campagne en pente que j’escalade lentement, avant d’atteindre un grand plateau d’altitude et le village de Ballestero, où je m’arrête pour le petit déjeuner, vers 8 heures du matin, après 54 kilomètres. Le moral est excellent, la journée s’annonce radieuse. Macron vient de gagner l’élection présidentielle, c’est ce que me raconte le poste télé au-dessus des bouteilles d’alcool. J’entends les commentaires en espagnol, ça ne pollue pas trop ma bulle cyclopédique.


Sur l’appli de suivi de la Desertus Bikus, je remarque que je suis le seul concurrent dans un rayon de 50 kilomètres. Personne devant, personne derrière. La journée sera passée en totale solitude, pendant près de 300 kilomètres. Toute la matinée, j’emprunte la grande route nationale A32, une belle bande de bitume bien tracée au milieu de la campagne d’altitude. Dans le lointain, les villages blancs du sud de l’Espagne s’accrochent aux flancs des montagnes tapissées d’oliviers. Ça roule vite. Les camions espagnols dépassent très largement sur la gauche. Juste après le panneau d’entrée en Andalousie, la chaleur monte d’un cran. Le soleil tape et il n’y aucune ombre pour se protéger.


Après le village de Villacarillo, je poursuis sur l’A32 sous un soleil de plomb. Je passe les pires 20 kilomètres de la course, accablé par le soleil, sur cette portion de route, construite sur une crête surplombant une vaste dépression au sud. La vue est chouette pourtant, magnifique même, avec les sommets enneigés de la Sierra Nevada qui barrent l’horizon.


Après une rapide descente dans la vallée, je dois remonter et attaquer la “route de la montagne”, comme je l’ai appellée. La plupart des concurrents prennent une autre route, mais j’ai décidé d’approcher le CP3 du désert de Gorafe par l’Est. La montée en direction du village de Jodar est terrible. Des rampes à 10% en plein cagnard, je m’arrête tous les kilomètres sous les rares arbres assez touffus pour m’abriter un peu du soleil. Je peine, je râle, je n’avance pas. Le soleil m’a détruit.


À Jodar, c’est la grosse pause goûter. 3 yaourts, 3 pêches, 1 orange, 2 cafés crème, un sirop de citron, 1 coca, 1 litre d’eau. Et c’est reparti. La température est tombée, le soleil n’est plus à la verticale. Il est 18h, j’ai roulé 220 bornes depuis ce matin. La route qui suit est digne des plus belles routes de montagne : forêts de pins, montagne en fleurs, vues splendides sur les déserts lointains. Il y a même un village hallucinant de beauté, Cabra del Santo Cristo, qui se détache sur les montagnes blanches de la Sierra Nevada. Magique. Pourtant, j’en bave comme jamais. Musique dans les oreilles, je suis pas loin de craquer émotionnellement. Bon d’accord, je craque.


Au col, le dernier avant la grande descente vers le CP3, trois gars ont l’air de m’attendre. Je pense d’abord à des motards, mais non, ce sont 3 belges qui roulent la Desertus Bikus. Je n’ai jamais été aussi content de voir des belges, dis donc. Eux aussi sont dans le dur, ils ont baptisé ma “route de la montagne”, “le monstre”. Elle nous a tous bien cassé, en tout cas. On est à plus de 1100 mètres d’altitude, on doit descendre à 630 et le mieux serait de le faire de jour. Pas le temps de souffler, on fonce dans la descente. Enfin, on va aussi vite qu’on peut.


On débarque dans le village de Villanueva de Las Torres à la nuit tombée. Tout est fermé. Pourtant je m’étais juré que j’y trouverais un hôtel et que ma journée s’arrêterait là. Pas d’hôtel. On fait ouvrir un magasin d’alimentation à 22 heures. Je marche hagard dans les allées, ne sachant pas quoi prendre pour manger. Je suis flingué de fatigue. On pique-nique sur la place du village, à même le sol. Les amis belges, Simon, Maxime et Fabien repartent en direction du CP3 du désert de Gorafe, distant de 8,5 kilomètres mais uniquement accessible par des pistes.


Je m’allonge tout habillé, doudoune, bonnet, pantalon de pluie, sur la dalle du parking qui renvoie encore un peu de chaleur et dort 20 minutes, avant de me mettre à méchamment trembler de froid. Je sais que je ne me rendormirai pas, je me remets en route. Pas le choix. A 1h00 du matin, c’est reparti en direction du CP3. Je dois d’abord traverser une rivière pieds nus avant de grimper sur des pistes aux pentes ahurissantes. En pleine nuit, je n’ai aucun repère, mais je sais que ma roue avant lève plusieurs fois, ça doit être du 15-20%, parfois. Je valide le CP3 à 2h11 du matin. Il parait que c’est le plus beau CP. Pour moi, c’est juste une piste caillouteuse.


300 kilomètres depuis hier matin.


Je poursuis ma route toute la nuit, d’abord en sortant des pistes du désert de Gorafe, puis en longeant une autoroute par une voie secondaire défoncée, vraiment pas ma came. Mais je suis en pilote automatique, je m’en fiche un peu.


Lumière rouge devant, lumière blanche derrière. A 5 heures du matin, il y a du monde dans la campagne ! Paul me rejoint, puis on rattrape Élise, avec qui je vais rouler une bonne partie de la matinée. Le jour s’est levé, on roule dans la grande vallée qui a servi de décor aux westerns spaghettis, aujourd’hui plantée de centaines d’éoliennes, heureusement à l’arrêt ce matin.


Après avoir failli se manger une famille de sangliers, papa, maman et toute la smala, la route descend en direction du CP4 du désert de Tabernas. Après un dernier village, l’itinéraire prend à droite, quitte le bitume et suit le cours d’une rivière presque à sec. Mes pneus de 38mm vont me faire planer sur ces graviers noirs, je me sens comme un gamin là-dedans, ça me réveille totalement. Il faut valider le CP4 en remontant à pied un étroit canyon rempli de sable, ça me rappelle la blague finale de Nelson Trees sur l’Atlas Mountain Race en 2020 quand il fallu pousser les vélos sur 6 km de dunes marocaines…


Mais j’adore. Ça fait un peu de rando, le corps se détend, s’étire, ça masse les pieds. Le CP4 est situé dans une gare abandonnée, en plein désert, c’est complètement surréaliste de se retrouver ici, à 9h54 du matin, après une nuit blanche et 410 kilomètres de vélo.


Elise s’est plantée d’intersection pour le CP4, elle doit remonter quelques kilomètres pour le valider, je me retrouve donc seul pour affronter les derniers 187 kilomètres qui me séparent de la ligne d’arrivée.


Après un rapide petit déjeuner dans le premier rade trouvé sur ma route, c’est parti pour le dernier tronçon. La traversée d’Alméria se passe sans encombre en mode “livreur à vélo qui ignore les feux et les panneaux de circulation”, puis j’atterris sur la côte méditerranéenne que je dois suivre sur 150 kilomètres. C’est bizarre, parce qu’en temps normal, 150 kilomètres, c’est une grosse journée à vélo. Là, c’est juste la dernière section d’une journée à 596 kilomètres, donc c’est -presque- un détail. Disons que je l’aborde comme une étape à couvrir d’une seule traite, sans trop d’arrêts. Je vois sur le tracker qu’Élise me suit de près, mais bizarrement encore, dans ma tête, y a pas moyen qu’elle me double ! Sa présence juste derrière moi me booste pour arriver le plus vite possible. En fait, je suis fatigué, j’ai des brûlures et des irritations au derrière, je veux que ça se termine.


La route côtière s’amuse à monter et descendre sans arrêt, je suis tellement fatigué que j’enchaîne les montées sans en penser quoi que ce soit. Altitude 0, altitude 100, altitude 0, altitude 200, altitude 0. Le corps est passé en mode auto. Musique électronique dans les oreilles pour calmer les douleurs.


J’ai mal tracé ce dernier tronçon, j’ai fait confiance à Komoot qui pense que je suis un touriste en mal de routes bucoliques. Résultat, je me prends des raidars de folie que j’escalade en danseuse. Plus rien ne m’atteint, je suis passé du côté obscur de la longue distance à vélo.


La nuit tombe finalement alors que je suis encore à 40 km de l’arrivée. Ma compagne et ma famille proche m’assurent un soutien sans faille depuis le début, à coups de messages sur Signal. Je leur envoie quelques vidéos des derniers tours de roue, je dois être un peu lyrique, sûrement.


Les lumières de Nerja apparaissent au terme de l’ultime ascension. Là, c’est l’histoire d’un mec qui lâche les freins et entre en ville avec un grand sourire, content d’en avoir terminé. 596 kilomètres en 41 heures d’éveil, dont 30 heures de déplacement à vélo.


Il est 22h35, j’ai roulé 1252 kilomètres en moins de 4 jours. Dodo !









A Jodar, pause vitale

Cabra del Santo Cristo



Simon et Maxime

Avant la nuit blanche et le CP3



Élise dans le lit de la rivière ;-)


Au CP4



L'arrivée à 22h35


Élise et Hugo en photobomb

Sofiane

Adrien

Avec Sofiane, Nathalie, Élise et Adrien

Le vainqueur de la course, Victor !





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